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Grand-mère

Retour à la culture innue

9:37 min. - Evelyne raconte quels chemins elle a pris pour se réapproprier sa culture.

Transcription

Evelyne St-Onge - La première fois quand je me suis retrouvée toute seule, pas d’enfant, pas de mari… rien, là, j’ai réalisé que j’étais avec moi-même. Qu’est-ce que je vais faire avec moi-même? J’ai paniqué, je me disais « Si au moins les enfants étaient là, je pourrais leur faire des toasts, leur faire à déjeuner... » J’ai rien réglé. J’ai commencé à boire à ce moment-là. Ça été pour moi une période noire quand j’ai commencé à boire. Je commençais des batailles, je parlais de politique, je disais des choses désagréables. J’étais gênée et j’avais encore mon problème de timidité du pensionnat. La religieuse me poursuivait encore, celle qui m’avait humiliée en public. Quand je buvais, elle prenait le bord, je parlais beaucoup… Pour moi la boisson, je ne l’ai pas connue à la maison, c’est moi qui ai décidé de boire, ça me donnait l’occasion de parler, ça me donnait l’occasion de rire, de chanter… Tout sautait, j’étais vraiment complètement changée et j’aimais beaucoup ce feeling-là. Il y avait un regroupement de femmes à Montréal et on m’avait demandé d’en faire partie, il y avait Anne Kapesh et moi-même de Schefferville. Il y avait des femmes de chaque communauté de la province de Québec, c’était pour mettre sur pied l’Association des femmes autochtones du Québec. C’est là que j’ai appris la loi, le fait d’avoir été mariée à un non-autochtone me faisait perdre mes droits. J’ai appris que je n’étais plus une Indienne. En 1985, la Loi sur les Indiens a changé concernant les femmes. Maintenant, je peux marier qui je veux et rester Innue. Par contre, aujourd’hui même, le problème n’est pas réglé pour les enfants. C’est réglé juste à mon niveau, pas pour toute ma génération. Quand je suis revenue au village ici, les Indiens me disaient « Voyons donc, tu n’es plus une Indienne, tu nous as trahis, tu nous as reniés, tu as marié un Québécois. Cela me faisait réagir beaucoup, quand j’avais bu un peu, je réagissais fort. Par contre, si je regarde ça aujourd’hui, ça été un bon coup de pied pour que je m’occupe de ma culture, de ce qui me manquait. Fallait que je montre aux Innus que j’étais une Innue. Quand il y avait des femmes, j’étais impliquée, sur la langue. En fait j’étais impliquée dans tout ce qui était innu. J’étais impliqué, j’étais partout. Fallait que je prouve aux Innus que j’étais une Innue. C’était le début de la prise en charge de l’éducation et ça j’aimais ça. C’était un mouvement qui était très énergisant, se prendre en main. Enfin, les Innus, on va faire quelque chose. Quand j’ai fait ma crise d’identité, pis ça s’est calmé… là j’ai commencé à rêver en indien, j’ai commencé à rêver à un prince charmant innu qui m’amènerait dans le bois, où je pourrais vivre dans le bois. Et finalement, j’ai rencontré Philippe. Philippe est un chanteur qui chante en innu. Pour moi, ça me convenait très bien, je ne l’avais jamais remarqué avant. On était à la rivière Moisie au campement de Desneiges. Il y avait un journaliste de Radio-Canada qui était venu. Il y avait une grande réunion. On préparait le repas, puis il y a eu un orage, tout d’un coup avant le repas. Tout le monde est parti se mettre à l’abri en dessous des arbres. Et un éclair surgit, près d’une voiture. Philippe était là et ce fut le coup de foudre. Je ne l’avais jamais vu avant. Un an et demi après, on a décidé de vivre ensemble et on a eu Mishtashipu. Y avait toujours quelque chose qui me manquait, je me disais : j’ai arrêté de boire, je suis en bonne santé, je commence à régler mes problèmes de relations… Mais je sentais quand même quelque chose qui me manquait en dedans de moi et je savais que c’était le côté spirituel. Quand je suis sortie du pensionnat, j’ai laissé le bon Dieu au pensionnat, quand j’ai fermé la porte du pensionnat, je l’ai laissé là. Ça continue comme ça sans religion, sans croyance à quelque chose. Je me sentais complexée, pas bien, il y avait un vide à l’intérieur de moi. Un soir, Edouard Michel arrive chez nous et dit qu’il s’en va à une cérémonie à la pleine lune. Je lui dis : « Je vais aller avec toi. » On était tout le monde assis par terre et il y avait une femme naskapie qui parlait de toute notre relation avec la terre, le soleil, la lune… C’est à ce moment-là que j’ai trouvé ma réponse… J’ai trouvé tout un côté spirituel des éléments de la terre que je n’avais jamais pensé, que je n’avais jamais vu, ni même pensé, je ne savais même pas que ça pouvait exister. Ça été pour moi une très belle découverte. Après j’ai continué à vouloir connaître plus. Il y a eu la tente à suer, ça se passait à la rivière Moisie, le territoire de mes ancêtres, de mon grand-père du côté de ma mère. Je pensais beaucoup à mes ancêtres cette fois-là. J’ai pleuré tout le long, c’était comme si j’avais à pleurer toutes les peines du monde, toutes les peines que j’avais eues auparavant. Quand je suis sortie, le fou de rire m’a poignée, j’ai vu des étoiles. J’étais couchée par terre. J’avais été aux extrêmes et ça été encore d’autres découvertes. J’entretiens beaucoup ce côté-là maintenant. Je vais à tous les ans à la Danse du soleil chez les Lakotas. Pour moi, c’est un lien très important, c’est le lien spirituel qui m’a manqué et que j’ai toujours cherché. Ça m’a pris du temps à comprendre. J’aime beaucoup ce lien-là, ce sont des gestes, une façon de faire, une façon de penser qui te relie avec la terre, avec les autres. On fait tous les mêmes gestes qu’on soit Innus ou Lakotas.
Musique - Kathia Rock


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