La mythologie innue

L’anthropologue et ancien professeur à l’Université de Montréal M. Rémi Savard définit ainsi les deux catégories de récits qui composent la tradition orale chez les innus :

Les Montagnais distinguent facilement l’atenogen (ou atanukan) de cet autre genre narratif qu’on appelle tobadjimun (ou tipatshimun). Un tobadjimun relate des histoires vécues ou du moins susceptibles de l’avoir été par le conteur, un ami, un grand-père, etc., l’atenogen serait tout autre chose. (...)

Les atenogen (ou mythes) seraient donc les paroles des animaux, transmises originellement aux anciens dans le cadre de leur mariage avec les animaux et, depuis lors, au sorcier dans la tente cérémoniale. Un atenogen, nous disait un conteur de La Romaine, c’est ce qu’on doit transmettre afin que les générations futures sachent ce qu’il convient de savoir. (Savard 1977 : 63-67)

Les mythes mettant en vedette Tshakapesh (l’homme dans la lune - ou celui qui tire une corde derrière lui) et Kuekuatsheu (le carcajou) sont probablement les plus populaires dans la tradition orale innue. Ils ont été perpétués sur l’ensemble du territoire innu et relatent de très nombreux épisodes dans la vie de ces deux personnages.

Chacun de ces corpus de mythes a d’ailleurs fait l’objet d’études anthropologiques de la part de spécialistes. à titre d’exemple, Rémi Savard a publié en 1972 un ouvrage sur l’étude des différentes versions des mythes de Kuekuatsheu, et un autre sur l’analyse des récits portant sur Tshakapesh (1985). Mme Madeleine Lefebvre a elle aussi signé un livre sur les tribulations légendaires de Tshakapesh en 1974.

Celui-ci peut à juste titre être perçu comme un héros-civilisateur ou héros culturel. Selon Madeleine Lefebvre :

Il est un personnage étrange muni de pouvoirs chamanistiques dont celui de modifier sa taille à volonté, et qui semble s’être donné pour mission d’exterminer les cannibales. (...)

La croissance de Tshakapesh se fait rapidement et par bonds, n’obéissant en rien aux rythmes normaux, comme d’ailleurs sa naissance prématurée et irrégulière. Cette caractéristique du personnage pourrait bien offrir une indication de son rôle comme régulateur du temps. (Lefebvre 1974 : 18)

La plupart des mythes que se racontaient les innus abordent des thèmes fondamentaux tels que la nécessité du partage, l’entraide, l’individualisme, la témérité, l’arrogance, voire l’inceste et le cannibalisme. Bien que certains mythes ne semblent présenter qu’un aspect ludique, la plupart des anthropologues s’entendent pour affirmer que la majorité de ces récits reflète un besoin humain fondamental : celui de comprendre le Monde dans lequel évolue une société, autant dans ses dimensions naturelles que culturelles.

Le célèbre ethnologue et humaniste Claude Lévi-Strauss a consacré une grande partie de sa carrière à l’analyse des mythes racontés par des centaines d’ethnies autochtones des Amériques. Il en est venu à la conclusion que :

...l’objectif premier de la mythologie et autres idéologies religieuses est d’atteindre par le moyen le plus court une compréhension générale de l’univers - et non seulement une compréhension générale mais totale.

Sources

LEFEBVRE, Madeleine. Tshakapesh, récits montagnais-naskapis. Civilisation du Québec no. 4. Ministère des Affaires culturelles, 1974, 171 p.

SAVARD, Rémi. Le rire précolombien dans le Québec d’aujourd’hui. L’Hexagone / Parti pris, Montréal, 1977, 157 p.



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